mars 19, 2018

25 ans du Sleep-in

LE SLEEP-IN FÊTE SES 25 ANS

L’Association Sleep-In voit le jour suite à l’occupation d’une maison destinée à accueillir des personnes sans abris, initiative d’un groupe de jeunes militantes ayant pour revendication le Droit au logement pour toutes. Inspirées par la structure homonyme de Bienne et soutenues par Mère Sofia, elles réussirent à amener la Ville de Lausanne à ouvrir une structure d’accueil pendant une phase test de 6 mois durant l’hiver 1992-93. Cela démontrera rapidement le besoin d’un lieu d’accueil de nuit à Lausanne.

C’est suite à cet essai dans une nouvelle maison à Malley, en décembre 1993 que l’Association Sleep-In, mandatée par la Ville de Lausanne, s’est engagé à « offrir un lit pour la nuit, un petit-déjeuner et la possibilité de se laver à toute personne qui ne peut momentanément trouver une autre solution ». En parallèle, la Marmotte ouvre également ses portes. Le but du Sleep-In était d’offrir un lieu permettant aux personnes hébergées de se ressourcer le temps d’une nuit, pour la somme de 5.- , prix imposé par les dispositions communales. Le but étant de « dépanner » les personnes traversant une période difficile, la Ville exigea un nombre de nuits maximal, dans le but d’éviter une « installation » des usagères dans les locaux. Le Sleep-In proposait alors 20 places. Le Sleep-In garanti depuis ses débuts un accès inconditionnel, sans contrôle d’identité, sans stigmatisation et sans procédures formelles d’accueil. En d’autres termes, il encourage et favorise une souplesse d’utilisation. Il s’insère dans une logique d’accueil dite à “seuil bas”, sans critère d’accessibilité. Le Sleep-In devient un lieu de resocialisation, de moment de vie communautaire.
Les premières “ veilleuses” n’avaient pas de formation particulière et le fonctionnement n’était « pas basé sur un règlement, mais sur des principes » avec pour objectif de se démarquer d’un travail social bureaucratique et normatif. La volonté des “veilleuses” était de privilégier le Sleep-In comme un lieu de répit, sans forcer les personnes à un suivi social contraignant. Le but étant d’accompagner les personnes vers un retour à l’autonomie, plutôt que de rester dans des rapports d’assistanat.

Le Sleep-In se base depuis 25 ans sur ces valeurs et privilégie aujourd’hui la formation continue de ses travailleuses sociales en valorisant les compétences personnelles de chacune plutôt que leurs diplômes. Cela permet une équipe pluridisciplinaire, riche de sa diversité et des expériences de chacune. Avec les années, le Sleep-In est confronté à une augmentation des personnes sonnant à sa porte. De même, les parcours de marginalisation se diversifient et l’on retrouve au Sleep-In des personnes salariées, des personnes âgées et isolées, et des personnes souffrant de troubles psychiques. De plus en plus de femmes et de familles sont également accueillies dans la maison, laquelle s’adapte pour leur offrir un cadre sécurisant. D’une autre part, le nombre de personnes refusées à l’entrée ne cesse de croître.
Le constat continue de s’alourdir, avec un accès au logement toujours plus difficile, de plus en plus de personnes n’arrivant pas à obtenir d’appartement en raison de la saturation et de la spéculation immobilière, mais également à cause du manque de logements subventionnés ou à loyer modeste. Durant 25 ans, le Sleep-In a tenté de communiquer ces problématiques autant au public qu’aux politiques de la Ville.

Après 10 années d’existence, l’état de la maison s’étant dégradé, le Conseil communal de la Ville de Lausanne a permis en 2003 une rénovation de l’extérieur et l’intérieur du bâtiment. De nouveaux lits, des sanitaires neufs et plus nombreux, et un deuxième poste de travail à la cuisine voient le jour. Cela améliorera la qualité de l’accueil. Ce fut la seule fois en 25 ans que
des travaux si importants furent effectués dans la maison.
En 2003, en plus des rénovations, le Conseil communal accepta une augmentation de la subvention et reconnu le statut “d’intervenante sociale / responsable de nuit ”, qui remplaça celui de “veilleuse ”, terme réducteur en vue du travail fait par l’équipe. Le Sleep-In acquiert une reconnaissance de la part de la Ville. Si à ses débuts l’ASI était rattachée au Département
Jeunesse et Loisir de la Ville de Lausanne, elle passera au Département du Travail et de l’Action sociale et ses travailleuses seront reconnues comme professionnelles du social. À l’interne, des choix sont également faits pour rendre le travail moins précaire et surtout plus égalitaire.
L’année suivante, le Sleep-In, affichant chaque nuit complet, il est décidé d’optimiser le système d’inscriptions. C’est le début du « tournus » permettant de savoir qui sont les personnes refusées des jours précédents, et de les rendre prioritaires les jours suivants.
En 2008, l’entrée en vigueur de nouvelles lois sur les étrangers menace le principe d’accueil inconditionnel du Sleep-In. L’hébergement de personnes sans-papiers devient alors punissable par la loi. La Municipalité tentera l’introduction de mesures de restriction à l’accès aux structures d’hébergement pour ces personnes, dans le but de les orienter vers l’EVAM et son aide d’urgence.
L’Association du Sleep-In s’est alors battu pour prouver qu’elle ne faisait que garantir un hébergement aux personnes précarisées, dans un principe de respect de la Dignité humaine et non dans le but de prolonger ou pas le séjour de ces personnes. La croisade de l’ASI permis de maintenir la situation et de contourner ces tentatives de restriction.

Plus tard la Ville de Lausanne demandera que le CSR puisse effectuer des réservations pour ses bénéficiaires, alors que ces personnes étaient déjà priorisées à l’entrée. Le Sleep-In accepte malgré lui, déplorant que face à la pénurie de logements, les hébergements d’urgence soit pris comme une solution de relogement par les institutions officielles.
En 2012, le Service social de la Ville de Lausanne mit en place la « Centrale d’enregistrement des nuitées », en établissant une répartition des nuits selon des groupes d’appartenance. Le Groupe 1 pour les personnes suisses ou avec permis de séjour, dites “personnes de la région”, le Groupe 2 pour les femmes, les personnes les plus vulnérables telles que les personnes âgées, les personnes toxicodépendantes et les personnes blessées, et finalement pour les personnes qui travaillent. Le Groupe 3 regroupe tous les hommes ne rentrant dans aucune de ces catégories. La durée de la réservation dépend entre autre du groupe d’attribution. Elle sera de 15 à 3 jours selon si l’on est G1 ou G3.
L’Accueil bas-seuil du Sleep-In est menacé, l’équipe ne peut plus travailler selon ses principes d’accessibilité, et se voit contrainte de laisser l’attribution de la plupart de ses lits à cette entité. De plus, l’équipe est appelée à travailler la journée à la centrale. Une double casquette la confrontant à une situation de « double refus » de ses usagères: une fois devant sa porte le soir, et une fois le matin quand il n’y a plus de place de réservation.
Ce changement va à l’encontre des valeurs fondamentales du Sleep-In, lequel se voit obligé d’accepter ce nouveau fonctionnement faute de perdre sa subvention. Le droit à l’anonymat de ses usagères n’est plus garanti, ce qui est également en opposition total avec l’accueil dit à bas-seuil. Finalement l’équipe du Sleep-In ne devra plus aller travailler au “Bureau des Réservations ”, mais le système de groupes et de réservation sera maintenu.
En 2015, le Sleep-In se voit directement confronté à une augmentation massive de personnes à la rue. Au printemps, suite la fermeture de l’Abri PC, c’est le début du « Jardin du Sleep-In ». Sans autre solution et faute de place dans les structures d’accueil d’urgence, les personnes s’installent autour de la maison car c’est le seul endroit où elles ne se font pas chasser par la Police. L’Association organise des réunions avec les « gens du jardin » afin d’établir des règles de cohabitation. Lausanne et Renens donnent un ultimatum à l’association pour évacuer le terrain, mais le Sleep-In n’a ni les moyens, la la volonté de le faire. Cela conduira pour la première fois à une menace de fermeture du Sleep-In…
En 2016, la situation se répète, les Villes de Renens et Lausanne n’ayant pas trouvés des solutions d’accueil supplémentaire pendant l’hiver, la balle est renvoyée au Canton. La relation avec les Municipalités reste conflictuelle, les menaces sont toujours présentes, et le Sleep-In est confronté à l’inaction des Autorités. L’équipe est épuisée, les contrôles de police autour de la maison sont constants, des délais d’évacuation sont sans cesse à l’ordre du jour.
Pour la Municipalité, ces personnes n’ont rien à faire au Sleep-In, ni dans les autres structures d’accueil d’urgence, et elle demande à ce qu’elles soient dirigées à l’Aide d’urgence, en vu de renvoi dans leur pays d’origine si des accords existent avec la Suisse, ou, dans le cadre des accord Schengen-Dublin, dans les pays voisins européens où ces personnes sont légalement établies. Cette vision s’oppose fortement aux valeurs du Sleep-In, lequel défend encore et toujours les droits des personnes à la rue, quel que soit leur statut.
C’est aussi en 2016, que l’ASI décide d’augmenter le nombre de places. La ville accepte, mais à ses conditions : 2 places en plus, mais avec 23 places en réservation (au lieu de 17) et 3 en urgences (au lieu de 7). L’ASI est obligée à accepter.
En janvier 2017, le Sleep-In tente d’ouvrir ses portes en journée le dimanche, moment de la semaine ou les accueils de jour sont inexistants et la ville désertée. Mais les Autorités refusent le petit budget demandé pour ce faire. Le projet sera avorté en plein hiver et au moment de la fermeture des portes à 8 heure du matin, les personnes continueront d’être renvoyée dans la rue, pour une errance glaciale qui durera jusqu’au soir.
Depuis plusieurs années, le Sleep-in s’inquiète de son futur. La maison jaune étant aujourd’hui la seule rescapée de la grande friche de Malley, cachée entre une déchetterie et une patinoire provisoire, dans un quartier en pleine mutation.
Cette fois c’est sûre, en 2021, la maison sera détruite. Pas de proposition de relogement de la Ville de Lausanne et l’avenir semblerait se trouver à Renens. Aujourd’hui, c’est dans un contexte socio-économique et immobilier désastreux, encouragée par une politique répressive et discriminatoire que les usagères du Sleep-in continue d’évoluer
dans nos rues, invisibilisées.

Depuis 25 ans, le Sleep-In tente, en lien avec d’autres actrices du réseau de faire remonter les échos de la rue jusqu’aux salles de réunion du Conseil communal, ou jusqu’aux oreilles des décideuses politiques lausannoises et vaudoises. Non sans peine, il est vrai, car il n’est pas simple de se faire régulièrement le porte-parole de problématiques en opposition à un système toujours plus excluant et répressif tout en percevant des subventions de ce même système.

Malgré ce lourd constat, voilà 9125 jours que l’équipe du Sleep-In accueil avec joie et bonne humeur ses usagères, et compte bien continuer à le faire.